La perspective d'un procès d'Ikea France se rapproche: le parquet de Versailles a requis le renvoi en correctionnelle du géant suédois, accusé de s'être illégalement renseigné sur certains de ses salariés avec la complicité de policiers.

Ce réquisitoire du parquet, qui demande également le renvoi de quinze personnes, est l'aboutissement de près de six années d'enquête qui ont permis de lever le voile sur un système relevant de méthodes de barbouzes peu conformes à l'image de marque d'un groupe d'ameublement mondialement célèbre.

Le parquet a notamment requis la tenue d'un procès pour violations du secret professionnel et collecte illicite de données personnelles au profit d'Ikea France, de son côté accusé de recel de ces infractions, a indiqué jeudi une source proche de l'enquête.

"Mes clients se félicitent de la position du parquet et nous espérons qu'elle sera suivie par le juge d'instruction", a déclaré à l'AFP Sofiane Hakiki, avocat des syndicats CGT et FO et de plusieurs salariés. Le juge a désormais trois mois pour faire connaître sa décision.

Ikea France s'est refusé à tout commentaire. "Le réquisitoire définitif ne nous a pas été notifié donc nous ne savons pas quelles sont les motivations du parquet", a simplement déclaré l'avocat de l'enseigne, Emmanuel Daoud. "Ikea France, depuis le début de la procédure, a toujours collaboré avec l'institution judiciaire", a-t-il ajouté.

La maison-mère a quant à elle réagi en souhaitant "rappeler que les charges retenues contre (sa filiale) sont en totale contradiction avec ses valeurs". "Ikea continue à collaborer pleinement afin que toute la lumière soit faite", a-t-elle dit dans un communiqué.

Tout a commencé en février 2012, quand le Canard enchaîné révèle que la direction de l'entreprise aurait mis en place un système structuré de surveillance de certains salariés, notamment ceux à l'activité syndicale jugée embarrassante.

Le but: récolter un maximum d'informations sur leurs antécédents judiciaires ou sur l'état de leur compte en banque.

Comédiens espions

L'enseigne est notamment soupçonnée d'avoir passé un "contrat" avec des policiers ayant accès au "STIC", vaste fichier policier répertoriant les auteurs et victimes d'infractions, afin qu'ils leur transmettent des données confidentielles. Quatre fonctionnaires de police sont d'ailleurs mis en examen dans cette affaire.

Les syndicats accusent également la direction d'Ikea France d'avoir recruté des "implants", des comédiens dont la seule mission était d'espionner leurs collègues et de rédiger des rapports.

Le nom de la société de renseignement privée CSG, impliquée dans une autre affaire d'espionnage de salariés dans un groupe de maisons de retraite, apparaît dans le dossier Ikea.

Un rapport, que l'AFP a pu consulter, détaille ainsi des éléments de la vie personnelle de certains salariés, leurs amitiés et soutiens au sein de l'entreprise, et la manière envisagée pour retourner ces soutiens.

Plus d'une dizaine de personnes ont été mises en examen dans cette affaire. Parmi elles, l'ancien PDG France de 2010 à 2015 Stefan Vanoverbeke, son prédécesseur Jean-Louis Baillot, ainsi que le directeur financier de 2009 à 2014, Dariusz Rychert, qui risquent tous un renvoi en correctionnelle.

Au cours de l'enquête, de nombreuses perquisitions ont été réalisées au siège du groupe à Plaisir (Yvelines) mais aussi dans des enseignes à Franconville (Val-d'Oise), Avignon (Vaucluse), Reims (Marne) et Brest (Finistère), révélant un système d'ampleur nationale.

Dans la foulée des premières révélations, Ikea avait annoncé des mesures éthiques visant à redorer le blason de l'entreprise, qui compte en France 33 magasins et 10.000 salariés, et à tirer les leçons de ce scandale.