"Loser" qui n'a "jamais voulu tuer" ou "guérillero maladroit" aveuglé par sa "doctrine de résistance" ? Après son procès en appel, le "tireur de Libé", Abdelhakim Dekhar, saura jeudi si ses 25 ans de réclusion criminelle prononcés en première instance seront allégés.

L'accusation a requis la même peine devant la cour d'assises de l'Essonne. En 2013, Abdelhakim Dekhar avait effrayé Paris et ses alentours, armé d'un fusil à pompe. 

Son périple l'avait mené de BFMTV à la Société Générale de La Défense, en passant par Libération, où il avait grièvement blessé un assistant photographe. Après cinq jours de traque, les policiers l'avaient retrouvé dans une voiture, remplie de médicaments qu'il venait d'ingurgiter.

Cet homme de 52 ans voulait-il vraiment tuer? Assurément pour l'avocat général, Jean-Christophe Crocq. Il l'a dépeint en "guérillero maladroit", pataud avec son arme chez BFMTV, qui vise mal à La Défense, où ses tirs criblent la façade de la Société Générale.

En première instance, Abdelhakim Dekhar avait été déclaré coupable de tentatives d'assassinat seulement sur Philippe Antoine, un journaliste de BFMTV, et César Sébastien, l'assistant photographe blessé à Libération. M. Crocq a réclamé d'élargir sa culpabilité, estimant que l'accusé a également tenté d'assassiner un vigile de BFM et deux employées de la Société Générale.

"Je n'ai jamais voulu tuer ou heurter qui que ce soit", a juré M. Dekhar. A Libération, il avait atteint César Sébastien dans le dos avec une munition pour sanglier, selon l'expertise balistique.

Ses avocats ont nourri le doute. Oui, "il voulait faire un mauvais coup". Mais "à moins d'avoir une boule de cristal, personne ne peut affirmer" l'intention meurtrière, selon eux. A BFM, impossible de voir via la vidéosurveillance si son doigt est sur la détente, ont-ils argué. Devant la banque, il "relève le canon de son arme" au moment de tirer, selon des témoins. Un geste volontaire?

La défense a demandé de requalifier les faits en violences volontaires avec préméditation. Une démarche "téméraire et insultante pour les victimes", a tancé froidement l'avocat général.

"Loser" sans larmes

Cheveux frisés autour d'un crâne dégarni, M. Dekhar a abandonné les diatribes enflammées de son premier procès et récusé le "combat politique" invoqué pendant l'instruction pour justifier son geste.

Vouté dans le box, regard fuyant, il s'est présenté comme un "loser". Sa cavalcade était "un suicide scénarisé", a-t-il avancé comme en première instance. Dépressif, séparé de ses enfants, il aurait voulu attirer l'attention et se faire tuer par la police.  

La cour a réexaminé le parcours tumultueux de cet homme né d'une famille algérienne pauvre, adepte d'une idéologie libertaire et déjà condamné dans un dossier criminel. Il est soupçonné d'être le troisième homme qui aurait acheté un fusil pour Florence Rey et Audry Maupin, deux amoureux d'ultra-gauche auteurs d'une équipée meurtrière dans Paris en 1994. 

"Menteur pathologique" pour les experts et une large partie de sa famille, M. Dekhar romance sa vie: il se présente comme "ingénieur" avant de reconnaître qu'il est "agent de maintenance". A sa compagne, qui l'accuse de violences, il ment sur son âge.

Sa thèse du suicide est "fabriquée pour apitoyer la société", a dénoncé l'avocat général. Durant de longues années, l'accusé a laissé des écrits où il s'insurge contre les "journalopes" et le capitalisme. Cette "doctrine de résistance", c'est la "deuxième arme du crime", selon M. Crocq.

M. Dekhar est "enchaîné par la façon dont il a fait le récit de lui-même", a plaidé un de ses avocats, Abraham Johnson. "Quand il est comateux" après s'être bourré de médicaments, "il parle tout de suite de ses enfants", pas d'un mobile politique, a complété un autre avocat, Hugo Lévy.

César Sébastien a lui refusé d'assister au procès. Son avocat, Emmanuel Soussen, a rappelé "la cicatrice de 35 centimètres" et les "cauchemars quotidiens" de l'assistant photographe.

M. Dekhar a présenté excuses et regrets, mais "reste muet sur ses motivations", ont estimé les parties civiles. "S'il regrettait vraiment, il aurait dû être en larmes lors de cette plaidoirie".

L'avocat général a "douté de sa sincérité": en mars, Abdelhakim Dekhar a menacé de mort un surveillant en prison.