Qui aurait imaginé Che Guevara, Pablo Escobar et Frida Kahlo en frères d'armes? Les artistes Javier Ceballos et Paula Villamizar ont fait ce pari, assignant à des célébrités une mission spéciale: redonner de la valeur au bolivar, la monnaie du Venezuela.

Voici la "réévaluation du billet vénézuélien par l'art", présente Javier, tel un prestidigitateur avant un tour. La magie opère dans une rue piétonne du centre de Bogota. 

C'est là que l'artiste s'est installé il y a trois mois, à son arrivée dans la capitale colombienne. Ce Vénézuélien de 27 ans a fui la grave crise socio-économique que subit l'ancienne puissance pétrolière. Sa compagne Paula, 22 ans, l'a rejoint fin avril.

En guise d'atelier, un assemblage de planches trouvées dans la rue. L'une sert de tableau d'affichage pour les oeuvres miniatures: des bolivars décorés du portrait de personnalités du continent et d'ailleurs.

"C'est notre manière de protester. Ça permet de donner une valeur à cette monnaie, pour qu'elle ne finisse pas à la poubelle", résume Javier. A cause de l'hyperinflation, le bolivar ne vaut aujourd'hui plus rien.

Chavez oui, Maduro non

Sur les coupures dévaluées qu'il achète, ou qu'on lui donne par solidarité, le couple s'amuse à peindre le révolutionnaire argentin Ernesto "Che" Guevara, la peintre mexicaine Frida Kahlo, le prix Nobel de littérature colombien Gabriel Garcia Marquez, mais aussi Bob Marley, Joseph Staline, Paul McCartney... 

Celui qui soulève le plus de vagues est l'ancien "capo" de la cocaïne: "Quand nous peignons Pablo Escobar, les gens nous critiquent... Mais les touristes adorent!", raconte Paula à propos du chef du cartel de Medellin, abattu en 1993, mais qui génère toujours autant de passions.

Parmi les oeuvres du jeune couple, il y a un grand absent: le leader vénézuélien, Nicolas Maduro. "Cela ne nous intéresse pas, nous n'avons pas envie" de le représenter, dit Javier en haussant les épaules. Quant au défunt président Hugo Chavez, il est peint "mort" ou "en larmes": puni pour "les dégâts causés" au pays.

"L'objectif est de rendre sa valeur au bolivar", explique Javier. Chaque billet est ainsi mis à prix 10.000 pesos (environ trois dollars). Les bons jours, les deux migrants peuvent en vendre jusqu'à vingt.

Avec la crise, la monnaie vénézuélienne a chuté de 98%. Actuellement, il faut 6.000 bolivars pour un dollar, selon un taux variable. "Avec le billet de la valeur la plus élevée (...) vous ne pouvez même pas acheter une cigarette au Venezuela. Il faut au moins sept billets", précise Paula avec un sourire ironique.  

Tableaux miniatures

Paula s'est perfectionnée en dessin et Javier a dû lutter contre sa timidité. "Pour vendre dans la rue, tu as intérêt à sortir de ta zone de confort!" s'exclame-t-il. Coiffés de bonnets en peluche, en forme de panda pour Paula et de loup pour Javier, les artistes se sont gagné une petite notoriété autour leur atelier improvisé, près de la Place de Bolivar.

Tous deux ont quitté l'Etat de Tachira (nord-ouest), où ils sont nés, fuyant les pénuries. La récession a coulé leur petite affaire de vente en ligne d'oeuvres d'art. "Certains jours, on avait à peine de quoi se partager un oeuf et un peu de pain", se souvient Paula.

A Bogota, ils travaillent treize heures par jour, dorment dans une chambre exigüe d'une auberge de jeunesse, où ils partagent un lit simple.

Leurs clients sont surtout des touristes. Les Colombiens, dont le pays a accueilli 1,3 million de migrants vénézuéliens ces dernières années, s'étonnent moins de leur ingéniosité. 

Les étrangers "sont toujours impressionnés de savoir que ces billets ne valent plus rien", raconte Paula, pendant que Javier termine le cinquième portrait de la journée, celui du guitariste Jimi Hendrix. "Ce billet-là ne perdra pas de sa valeur messieurs dames! Au contraire, il en gagnera", lance l'artiste pour appâter le chaland.