Elle est censée incarner un nouveau modèle et les ambitions de la France aux JO de Paris 2024: l'Agence nationale du sport (ANS) pourrait subir cette semaine un coup d'arrêt devant le Conseil d'Etat, saisi par des hauts fonctionnaires qui exhortent le gouvernement à revoir sa copie.

Deux mois après le premier conseil d'administration de l'ANS, au Stade de France, une juge des référés doit se prononcer, mardi ou mercredi, sur une demande en urgence de suspension de l'arrêté et des deux décrets qui ont installé cette nouvelle entité.

"Je fais confiance à la sagesse du Conseil d'Etat pour qu'il nous permette de poursuivre notre action", a déclaré à l'AFP la ministre des Sports, Roxana Maracineanu.

La requête émane de l'intérieur même de son ministère, de la part de deux organisations représentant ses inspecteurs généraux. "Nébuleuse juridique", "coup de bonneteau", l'un d'eux, Roland Blanchet, a dénoncé vendredi à l'audience "le transfert, sans passer par le Parlement, de 70 ans de lois sur le sport français à un groupement d'intérêt public (GIP)", où l'Etat paie mais n'a plus totalement la main.

C'est bien tout le principe de cette nouvelle agence: l'Etat partage le pouvoir avec les représentants des collectivités territoriales, du mouvement sportif et des entreprises, pour décider des orientations sur le haut niveau --où l'Etat reste majoritaire -- et le développement des pratiques sportives. Aux yeux du gouvernement, ce nouveau modèle doit apporter plus de cohérence et d'efficacité. Une cellule pour la haute performance a été créée et confiée à Claude Onesta, qui pourra recruter des experts, et l'ANS aura la possibilité d'aller chercher des financements privés.

- "Année blanche" ? -

Mais pour ses détracteurs, l'agence incarne surtout le désengagement de l'Etat du domaine du sport.

L'enjeu n'est pas neutre car l'ANS reprend des compétences cruciales: d'un côté, elle va attribuer, à la place du ministère, les subventions aux fédérations sportives pour le haut niveau (environ 90 millions d'euros en 2019); de l'autre, elle validera les projets de ces mêmes fédérations pour attribuer des subventions aux clubs amateurs dans les territoires, à la place du Centre national pour le développement du sport (CNDS), placé sous la tutelle du ministère des Sports.

Sauf que, pour l'instant en tout cas, l'Etat a été le seul financeur du budget 2019, à hauteur de 350 millions d'euros. Juste avant la création de l'ANS, le Conseil d'Etat avait d'ailleurs émis des réserves, en rappelant que dans un GIP, tout le monde met au pot.

Le gouvernement avait préféré lancer l'agence fin avril, grâce à l'arrêté et aux deux décrets, tout en saisissant le Parlement pour graver la structure dans le marbre de la loi.

"Si l'on avait pu, bien sûr qu'on aurait fait les choses dans l'ordre et ce serait moins compliqué aujourd'hui", souligne la ministre, qui met en avant un agenda parlementaire surchargé.

Le recours des inspecteurs généraux pourrait enrayer la mécanique, car l'ANS a déjà tenu deux conseils d'administration et adopté plusieurs délibérations, alors que l'examen au Parlement n'est pas achevé.

Devant le Conseil d'Etat, les représentants du ministère ont mis en garde contre une paralysie des crédits et des subventions aux clubs. "Une année blanche", a résumé le directeur général de l'ANS, Frédéric Sanaur, taxé d'alarmisme par les inspecteurs généraux.

"Nos athlètes et les clubs ne peuvent pas attendre", ajoute Roxana Maracineanu.

Dans la version adoptée par le Sénat, l'ANS redonne une place plus forte à l'Etat, appelé notamment à définir sa stratégie dans une convention d'objectifs et à un contrôle plus fort. Le texte doit passer à l'Assemblée le 16 juillet, avant une éventuelle commission mixte paritaire, dernière étape avant l'adoption définitive.