En Aquitaine, l'agriculture s'"ubérise" pour mieux résister à la crise

En temps de crise, comment réduire les charges d'une ferme et amortir l'achat de machines en sommeil onze mois sur douze? Un Landais vient de lancer un site de location de matériel entre agriculteurs, un modèle collaboratif qui bouscule les habitudes du secteur.

"Quand on démarre avec pas grand chose, on prend conscience de la nécessité de se regrouper. Ajoutez à ça la crise et vous obtenez le concept de +votremachine.com+", résume son créateur Jean-Michel Lamothe, exploitant agricole de 45 ans.

La société qu'il a fondée en octobre 2015, avec son frère informaticien Jérôme et des amis, commence à séduire exploitations indépendantes et coopératives.

Cet entrepreneur, qui "à 8 ans voulait travailler la terre", a grandi dans les Landes, sur une exploitation familiale de dix hectares gérée par sa mère. Aujourd'hui, Jean-Michel Lamothe en cultive 160 répartis entre maïs et vigne, au coeur du Pays d'Armagnac.

"Jean-Michel est paysan comme nous, il peut donc mieux que personne comprendre nos problèmes", explique Pierre Ferry, l'un de ses premiers clients. A la tête d'une exploitation de 1.200 hectares de céréales et d'asperges, entre Landes et Gironde, cet utilisateur régulier de votremachine.com n'est pas épargné par la crise: "Je n'en dors plus la nuit. Alors pour réduire les charges qui nous tuent à petit feu, toutes les économies et tous les revenus, même petits, sont bons à prendre".

Ce céréalier s'est lourdement endetté avec son associé pour acheter une cinquantaine de tracteurs, moissonneuses, et autres machines-outils qui pour la plupart "ne servent que deux mois sur douze". "Un tracteur qui coûte 90.000 euros n'est amorti comptablement qu'en 5 ou 7 ans", précise-t-il. "Alors une machine louée, c'est une machine qui rapporte au lieu de dormir".

"Les coûts d'amortissement des machines représentent en moyenne de 35% à 40% du budget d'une exploitation. Or la location des machines non utilisées permet d'augmenter la rentabilité des machines de 25% par rapport à l'achat neuf", assure Jean-Michel Lamothe.

 Algorithme et géolocalisation

Le service qu'il propose veut aller plus loin que le modèle coopératif traditionnel, qui mutualise entre plusieurs agriculteurs l'achat d'une machine. Le site de location "permet au loueur d'amortir plus vite le matériel et de faire du revenu supplémentaire. Et le locataire, lui, fait l'économie d'investissements très lourds et risqués", explique Jean-Noël Barbasiat, directeur commercial.

Le réseau coopératif s'intéresse d'ailleurs de très près à ce nouveau modèle, comme en témoigne le partenariat entre votremachine.com et la Cuma 640, fédération de Coopératives d'utilisation de matériel agricole des Landes et Pyrénées-Atlantiques. Son président, Richard Finot, fait aussi observer que "le site permet de dépasser une limite économique atteinte avec les Cuma à l'échelle des départements pour aller plus loin, avec un maillage dans tout l'Hexagone et, pourquoi pas, au-delà. En Espagne, par exemple, où il existe aussi des Cuma". Et pour acheminer le matériel loué, votremachine.com s'appuie sur le savoir-faire et l'importante flotte de la société Capelle, transporteur des pièces détachées d'Airbus.

Tout acquise à ce nouveau modèle, l'influente Cuma 640 examine déjà la possibilité de le soutenir en devenant actionnaire. 

Un peu plus de 500 machines sont disponibles sur le site, qui n'impose aucun prix. Un algorithme calcule un "tarif raisonnable", mais seulement à titre indicatif. Gage de sécurité pour les utilisateurs et de crédibilité pour le site, le système de géo-localisation dont est doté l'engin en location permet de le localiser et de décompter les heures d'utilisation.

Mais il reste encore un gros travail de pédagogie et de persuasion sur le terrain: sur les 14.000 agriculteurs recensés dans les Landes et Pyrénées-Atlantiques, seulement 250 sont inscrits sur le site.

La plus grande résistance vient des petits: "Leur matériel, c'est un peu leur vie", explique Nicolas Sédeuil, chargé du porte-à-porte à la ferme, pour les convertir à l'économie collaborative. Mais il perçoit déjà les premiers signes "d'un changement des mentalités, sans doute lié à l'effet crise".