"Je vais essayer de montrer qui était Camille, ce qu'elle avait fait dans sa courte vie. Ce sera un hymne à la vie", prévoit ainsi Anne Murris, qui évoquera le 29 septembre sa fille unique, tuée à 27 ans par le camion-bélier de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel le 14 juillet 2016.

Ce Tunisien de 31 ans avait volontairement foncé sur la foule rassemblée sur la Promenade des Anglais pour la Fête nationale, faisant 86 morts et plus de 450 blessés.

Depuis le 5 septembre, la cour d'assises spéciale de Paris juge huit accusés, membres de l'entourage de l'assaillant ou soupçonnés de trafic d'armes.

Après avoir convoqué enquêteurs, experts techniques et spécialistes des traumatismes, la cour a entendu mardi deux premières parties civiles: Jérôme Calatraba, gérant d'une discothèque transformée en "poste médical avancé" après l'attentat, qui espère avoir "fait le maximum" pour contribuer à sauver des victimes.

Puis Sandrine Bertolotto, une jeune femme blessée à la cheville en sautant sur la plage pour échapper à l'attentat.

Prise dans un mouvement de foule, elle pensait fuir "un échange de tirs". C'est après coup qu'elle s'est rendu compte que les bruits sourds entendus alors qu'elle s'était réfugiée dans un restaurant en contrebas correspondaient probablement au camion percutant une pergola et un stand de bonbons, "à l'endroit où j'avais sauté".

Sur plus de 2.000 parties civiles constituées au procès, près de 300 ont exprimé le souhait de témoigner. Certaines étaient présentes sur la Promenade des Anglais le soir de l'attaque et ont été blessées ou traumatisées, d'autres y ont perdu un ou plusieurs proches, parfois une famille entière. Cinq semaines leur seront consacrées. 

- "Atrocité des faits" -

Ces dépositions vont permettre d'"avoir un point de vue plus humain sur ce qui s'est passé" le 14 juillet 2016, après la projection jeudi dernier des images de vidéosurveillance de l'attentat, observe Virginie Le Roy, avocate de 105 parties civiles.

"La parole des victimes dans un procès terroriste est essentielle pour se rendre compte de l'atrocité des faits", estime aussi Yves Hartemann, avocat d'une soixantaine d'entre elles.

"Je ne pense pas que je vais raconter la scène en détail", indique toutefois Sophie Desvergnes, musicienne qui jouait sur une estrade le soir de l'attaque. A la barre, le 6 octobre, elle entend "surtout parler de l'après", "dire (...) à quel point notre vie peut être transformée", même si "je n'ai perdu personne ce soir-là, je n'ai pas été blessée physiquement".

Le témoignage est généralement "salvateur", en particulier pour les victimes atteintes de troubles de stress post-traumatique, souvent confrontées à l'incompréhension des proches, explique à l'AFP Héloïse Joly, neuropsychologue à Nice, qui a évalué de nombreuses victimes de l'attentat et a témoigné vendredi au procès.

Déposer, "c'est être reconnu dans le fait d'être traumatisé, et voir qu'on n'est pas le seul à vivre ça, comprendre que c'est quelque chose de normal. C'est très déculpabilisant", ajoute-t-elle.

L'enjeu est différent pour les "endeuillés", explique Anne Murris, c'est "un travail contre l'oubli", pour "rendre hommage" aux proches disparus "dans la solennité d'un tribunal".

- "Exercice redouté" -

"C'est un exercice que je redoute", confie la présidente de Mémorial des anges, consciente qu'à la barre elle redeviendra "la maman de Camille Murris, replongée six ans en arrière, quand je cherchais mon enfant" après l'attentat.

Certains ont rédigé un texte au mot près, d'autres ont pour l'instant "des bulles d'idées" en tête, comme Stéphane Erbs, qui évoquera le 30 septembre - "le jour de mon anniversaire" - sa femme Rachel, une des premières victimes du parcours meurtrier de l'assaillant.

Le coprésident de l'association Promenade des anges a aussi prévu de s'adresser aux accusés, notamment les trois poursuivis pour association de malfaiteurs terroristes, pour "leur dire (...) que je ne crois pas à leur discours" affirmant qu'ils ne connaissaient pas les intentions de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel.

A l'inverse, "je ne leur accorde aucun affect, aucune pensée. Je n'ai même pas de la colère à leur égard", explique Anne Murris.