Le lancement imminent du grand débat national n'y change rien : les "gilets jaunes" préparent de nouveaux rassemblements samedi à travers la France, et semblent vouloir se concentrer entre Paris, théâtres de violences samedi dernier, et un lieu inhabituel, Bourges.

Deux mois après la première mobilisation, le mouvement est toujours aussi protéiforme et les figures de son "canal historique" n'ont pas la même stratégie pour leur 9e samedi de manifestations. 

Le chauffeur routier Éric Drouet affiche son intention de retourner à Paris. Le lieu de rassemblement, annoncé à La Défense sur Facebook - avec 3.000 participants et 15.000 personnes intéressées jeudi - devrait être dévoilé au dernier moment, comme lors des autres samedis.

De leur côté, l'autoentrepreneuse Priscillia Ludosky et le Breton Maxime Nicolle ont choisi Bourges (Cher) comme épicentre de la mobilisation. Cette préfecture du centre de la France est "à une distance équivalente des grandes villes", et est "une ville un peu moins connue des forces de l'ordre pour éviter qu'il y ait du +nassage+ (encerclement, ndlr) de fait, que la tension monte", a expliqué l'intérimaire à Konbini. Jeudi, 2.400 participants disaient vouloir s'y rendre sur Facebook et 12.000 personnes étaient intéressées.

D'autres rassemblements sont annoncés dans plusieurs villes : Bordeaux, Marseille, Toulouse, Lyon, Strasbourg, Lille, Nantes, Rennes... Les manifestants prévoient aussi une reprise des blocages et certains appellent à retirer leur argent des banques, sans toutefois susciter l'inquiétude du secteur.

Après une baisse de la mobilisation pendant les fêtes, les "gilets jaunes" ont réussi leur pari pour leur acte 8, le 5 janvier : avec 50.000 manifestants partout en France, selon le gouvernement, la contestation a rebondi et montré sa résistance à l'usure. 

Surtout, les violences à Paris ont polarisé les esprits, notamment l'intrusion dans le ministère du porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, et les images de l'ex-boxeur Christophe Dettinger en train de frapper des gendarmes. 

Le placement en détention provisoire de ce dernier, la cagnotte de soutien organisée en sa faveur, et celle lancée pour soutenir les forces de l'ordre, ont nourri plusieurs passes d'armes sur le terrain des valeurs, alors que de nombreux députés de la majorité reçoivent des menaces anonymes, et que les relations entre les médias et le mouvement se dégradent.

80.000 policiers et gendarmes

Après les vœux pugnaces d'Emmanuel Macron, l'exécutif s'affiche intransigeant sur "l'ordre républicain" et prépare une nouvelle loi "anticasseurs", avec un fichier à l'image de celui antihooligans réclamé par des syndicats de policiers. Pour samedi, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé un dispositif de sécurité "considérable" : avec 80.000 policiers et gendarmes, dont 5.000 à Paris, il retrouvera son niveau de la mi-décembre.

Dans ce contexte, le grand débat national, promis par le gouvernement comme la voie de sortie de crise, semble patiner, avant son coup d'envoi. 

La démission de Chantal Jouanno, qui devait l'organiser, après la polémique suscitée par son salaire mensuel brut de 14.666 euros, met l'exécutif sous pression, alors qu'Emmanuel Macron doit se déplacer mardi dans l'Eure pour lancer la consultation. D'autant qu'entre thèmes ouverts et lignes rouges fixées à l'avance, l'opposition et certains gilets jaunes doutent déjà ouvertement de son utilité.

"La méthode proposée par le gouvernement pour son grand débat, c'est une locomotive du XIXe siècle", a déclaré à l'AFP Christophe Chalençon, figure du mouvement dans le Vaucluse. Avec la mouvance "Gilets jaunes, le mouvement", née cette semaine, il compte lancer une plateforme en ligne pour recueillir les revendications.

Côté manifestants, on oscille entre détermination et inquiétude face à l'enlisement de la crise. 

"On attend une réaction de l'État avec une mise en place du RIC (référendum d'initiative citoyenne) et avec des mesures de pouvoir d'achat très concrètes", explique  Alex, organisateur des manifestations à Valence (Drôme). "S'il y a les deux réunis, le mouvement c'est fini."

Dans sa ville, "il y avait environ 3.000 personnes samedi dernier et il n'y avait aucun média national pour dire que ça s'est bien passé", regrette-t-il. Mais "il faut vite qu'ils réagissent. Il y a des gens qui en ont marre d'être pacifistes et ça va être de plus en plus difficile à gérer."