Ahmad Yassine travaillait dans son salon de coiffure à Küçükçekmece, un district populaire d'Istanbul, lorsqu'une foule en colère s'est formée sous ses yeux: quelques dizaines, d'abord, puis des centaines, avant d'attaquer sa boutique et celles d'autres Syriens.

"Ils ont jeté des pierres, la vitre s'est complètement fracassée. On était trois à l'intérieur, on a eu peur. On n'a pas pu sortir avant minuit, une heure du matin", raconte à l'AFP ce jeune homme à l'allure soignée qui a fui Alep il y a six ans.

Dernière d'une série de violences contre les Syriens, l'émeute qui a secoué Küçükçekmece il y a une dizaine de jours fait craindre l'embrasement dans un climat volatil où la parole xénophobe s'est libérée, notamment durant la dernière campagne pour les élections municipales.

La Turquie accueille plus de Syriens déplacés par la guerre qu'aucun autre pays au monde: ils sont plus de 3,5 millions à y avoir trouvé refuge, dont 500.000 à Istanbul.

Mais alors que cet accueil, qui devait être provisoire, se prolonge et que la situation économique s'est fortement dégradée, l'hospitalité des hôtes est plus que jamais mise à l'épreuve.

D'après une étude publiée la semaine dernière par l'Université Kadir Has à Istanbul, la part des Turcs mécontents de la présence des Syriens est passée de 54,5% en 2017 à 67,7% en 2019.

A Istanbul, Turcs et Syriens cohabitent dans un équilibre souvent précaire. A Küçükçekmece, tout est parti d'une rumeur, démentie par les autorités, affirmant qu'un garçon syrien avait agressé verbalement une fillette turque.

Les séquelles de ces incidents sont encore visibles: des vitrines sont rafistolées avec du gros scotch et des enseignes pendent à leurs câbles.

Mohammad Amari, un Syrien âgé de 27 ans originaire de Damas, a trouvé la pâtisserie dans laquelle il travaille saccagée en y arrivant le lendemain. "Ils ont cassé la vitrine en utilisant des pierres et des bâtons", déplore-t-il.

- "Boucs émissaires" -

Les violences survenues à Küçükçekmece ne sont pas isolées, mais jamais les incidents n'avaient atteint une telle ampleur, selon les habitants. La police a dû utiliser des grenades lacrymogènes et un canon à eau pour disperser la foule.